À quoi s’attendre avec le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans ?
Le 10 janvier 2023, Élisabeth Borne a officialisé les intentions du texte relatif à la réforme des retraites en France. Concrètement, l’âge légal de départ à la retraite devra passer à 64 ans en 2030. Pour rappel, il a déjà été repoussé à 62 ans en 2010. Le bilan de cette précédente réforme a révélé que le retardement de la fin d’activité générait plus de recettes pour le système de retraite, mais entraînait également davantage de dépenses pour l’assurance maladie. Le point sur ce sujet !
Les grandes lignes de la nouvelle réforme des retraites
L’augmentation de l’âge légal de départ à la retraite de 2 ans constitue la principale mesure de la nouvelle réforme. À partir du 1er septembre 2023, celui-ci sera relevé progressivement de 3 mois par an pour atteindre 64 ans en 2030. L’objectif est de réduire la charge des pensions, d’un côté, et d’accroître le taux d’activité des seniors afin de contenir le déficit du système de retraite, de l’autre.
D’après l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), la proportion des actifs âgés de 60 ans a progressé de 17 points de pourcentage chez les hommes et de 16 points chez les femmes. Pour sa part, le taux de chômage des seniors a augmenté de 7 points de pourcentage pour les hommes et de 6 points pour les femmes. D’autres études estiment à 13 points de pourcentage la hausse du chômage en fin de carrière. Associé à une augmentation de 6 points de l’invalidité, ce phénomène affecte les régimes d’assurance sociale alternatifs à la retraite.
Dans un rapport datant de 2019, la Cour des comptes a attiré l’attention sur la hausse notable des dépenses liées au risque maladie. Suite à la réforme de 2010, les indemnités journalières versées en cas d’arrêt maladie ont vu leur coût bondir de 4,2 % en moyenne chaque année. Elles ont de ce fait atteint 8 milliards d’euros en 2017. Cette hausse s’explique en grande partie par le vieillissement de la population de salariés.
Évaluation des effets de la réforme des retraites de 2010 sur les absences maladie des seniors
Certes, le prolongement de la longévité étend la durée de cotisations à l’assurance retraite. Toutefois, il augmente d’autres dépenses en parallèle. En effet, les arrêts maladie tendent à devenir plus fréquents et plus longs après 60 ans.
Pour déterminer l’impact du recul de l’âge légal de départ à la retraite sur la fréquence des absences maladie, il faudrait étudier ce qui serait survenu chez les personnes qui ont pu cesser leur activité à 60 ans si elles avaient travaillé 2 ans de plus. Cela n’est cependant pas faisable. L’application d’un raisonnement contrefactuel permet néanmoins d’aboutir à une approximation.
Il est possible de réduire plusieurs biais grâce à la comparaison des premières générations touchées par le départ à la retraite à 62 ans (les personnes nées entre 1952 et 1954) avec les dernières générations qui ont échappé à la réforme (les individus nés entre 1946 et 1951). On peut supposer qu’il y a davantage de ressemblance entre la trajectoire réelle des personnes nées en 1952 et la trajectoire fictive de celles nées en 1950 que la comparaison des générations 1940 et 1958.
Dans une génération, le nombre de personnes concernées par un ou plusieurs arrêts maladie baisse logiquement suite à des départs à la retraite. Ce phénomène s’est produit à 60 ans avant l’application de la réforme de 2010 et à 62 ans après son entrée en vigueur. La comparaison des deux groupes entre 60 et 62 ans montre que l’un aura été touché par cette chute, mais pas l’autre. A priori, le recul de l’âge légal de départ à la retraite explique en grande partie la différence.
Les caractéristiques individuelles des deux groupes, l’âge de départ à la retraite mis à part, ont été prises en compte pour pouvoir les comparer au mieux. Le salaire, la catégorie socio-professionnelle et le temps passé par les individus au chômage en font partie. Les analyses économétriques montrent que la hausse de 1,7 point de pourcentage de la probabilité de connaître au moins un arrêt maladie sur une année après 60 ans est en majeure partie imputable à l’augmentation de l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite. Pour sa part, la durée annuelle cumulée d’arrêts de travail a augmenté d’un peu plus d’un jour. Pour le nombre annuel d’arrêts maladie, on constate une hausse de 0,02.
Les effets de la réforme ne sont pas les mêmes selon l’état de santé et le genre
Une grande hétérogénéité est observée au-delà de ces moyennes. L’effet de la réforme de 2010 a notamment été plus important sur la probabilité d’arrêt maladie pour les personnes en mauvaise santé et celles qui ont été victimes d’accidents de travail ou de maladies professionnelles ayant entraîné des congés maladie de longue durée. L’augmentation est en effet de 2,2 points de pourcentage, contre 1,2 point pour les individus en bonne santé. Le constat est le même pour le nombre annuel de jours d’arrêt qui s’est accru de près de 1,8 jour pour les personnes dont l’état de santé est fragile.
D’autre part, il existe des disparités notables entre les hommes et les femmes concernant la probabilité d’arrêt de travail et le nombre d’épisodes d’arrêt. L’écart est en revanche moins élevé s’agissant du nombre annuel de jours d’arrêt.
Ces observations mettent en exergue l’importance de mesures qui prennent en compte de l’hétérogénéité des situations au sein de la population active lorsqu’une évolution des paramètres de retraite est envisagée. Il peut par exemple s’agir :
- De mesures de prévention ;
- D’une amélioration des conditions de travail ;
- De la possibilité d’une retraite anticipée pour les salariés en mauvaise santé ou dont l’état a été fragilisé par leur parcours professionnel ;
- D’un assouplissement du temps de travail des personnes âgées ;
- De l’affectation des seniors aux postes les moins pénibles.
Il convient de rappeler qu’en plus d’avoir un impact sur les absences maladie des seniors, l’augmentation de l’âge de départ à la retraite entraîne un déversement vers l’assurance chômage, l’assurance invalidité et d’autres dispositifs alternatifs de la protection sociale. Ce n’est qu’en prenant en compte l’ensemble de ces effets que le décideur public sera en mesure de cerner les retombées des réformes comme celle qui doit entrer en vigueur début septembre prochain.