Bibliothérapie : quand les livres deviennent des remèdes à l’âme

Et si la plus belle ordonnance n’était pas celle que l’on reçoit sur un bout de papier, mais celle que l’on trouve entre deux pages jaunies d’un roman ? Dans une époque saturée de notifications et d’injonctions au bien-être, la bibliothérapie redonne ses lettres de noblesse à une pratique aussi ancienne que l’humanité : lire pour se soigner ! Au-delà du loisir, la lecture devient un véritable outil thérapeutique, avec à la clé de multiples bienfaits désormais étayés par la science. Décryptage !

La lecture, une médecine douce qui ne dit pas son nom

Le mot « bibliothérapie » est relativement récent, mais vous serez peut-être surpris d’apprendre que son principe remonte à la nuit des temps. Déjà, au fronton de la bibliothèque de Thèbes, on pouvait lire cette inscription fascinante : « La pharmacie de l’âme ». Tout est dit. Car lire, c’est non seulement s’évader, mais aussi réapprendre à regarder en soi. Cette intuition, les philosophes grecs l’avaient déjà formalisée. Pour les stoïciens, la pensée rationnelle — et donc la lecture — permettait de prendre de la distance face aux passions destructrices.

Mais c’est véritablement au XXe siècle, après les traumatismes de la Première Guerre mondiale, que la bibliothérapie trouve sa place dans le champ médical. Aux Etats-Unis, dans les hôpitaux militaires, les livres sont utilisés pour aider les soldats à surmonter le choc des combats. Sadie Peterson Delaney, pionnière du genre, prescrivait des lectures adaptées aux anciens combattants traumatisés. Un soin par les mots, bien avant que la psychiatrie ne s’en empare officiellement. Aujourd’hui, si la bibliothérapie est largement reconnue en Grande-Bretagne ou au Canada, elle peine encore à s’imposer en France, malgré des résultats scientifiquement prouvés.

la lecture une medecine douce

La lecture, un baume pour l’esprit et le corps

Que se passe-t-il lorsque l’on ouvre un livre ? Eh bien la lecture déclenche une véritable tempête neuronale ! Des chercheurs comme Maryanne Wolf ont démontré que lire mobilise une incroyable plasticité cérébrale, activant à la fois les zones de la mémoire, de l’empathie et de la réflexion critique. En Australie, le chercheur Kevin Ronan a même identifié les fonctions précises de cette thérapie douce. Pêle-mêle, elle sert à montrer au lecteur qu’il n’est pas seul à traverser ses épreuves, à offrir de nouvelles pistes de réflexion et des solutions concrètes, à aider à comprendre les mécanismes psychologiques à l’œuvre dans ses propres réactions, et surtout, à encourager une approche réaliste pour dépasser ses difficultés. À travers les mots des autres, le lecteur déchiffre aussi ses propres maux. Lire devient alors un miroir, une échappatoire et parfois même, un déclencheur de guérison.

La révolution de Maryanne Wolf : réapprendre à lire vraiment

Dans son ouvrage « Reader, Come Home », Maryanne Wolf, neuroscientifique et spécialiste du cerveau lecteur, alerte : à force de lectures fragmentées et superficielles sur nos écrans, nous sommes en train de perdre notre capacité de « lecture profonde ». Cette lecture qui permet non seulement de comprendre, mais de s’imprégner, de réfléchir, d’analyser. Maryanne Wolf a elle-même mené une expérience édifiante… en tentant de relire Le Jeu des Perles de Verre de Hermann Hesse, roman qu’elle avait adoré plus jeune, elle découvre avec effroi qu’elle n’a plus la patience ni la concentration nécessaires pour en savourer la complexité. L’urgence de tout, la fragmentation des écrans, ont miné sa capacité à plonger dans un texte exigeant.

Mais l’espoir subsiste, et à force de discipline, de séances de lecture quotidiennes de 20 minutes, elle parvient à retrouver son « cerveau lecteur ». Son plaidoyer ? Protéger cette compétence essentielle pour préserver notre esprit critique, notre capacité d’empathie et notre vigilance face à l’information en continu. Car au fond, lire profondément, c’est aussi résister à la manipulation des esprits et à l’appauvrissement de la pensée.

Un remède contre la dépression et l’anxiété ?

En Grande-Bretagne, la bibliothérapie n’est plus une simple hypothèse, elle fait l’objet de véritables prescriptions médicales. Le programme Books on Prescription, lancé en 2005, permet aux médecins de prescrire des livres thérapeutiques pour accompagner des patients souffrant de troubles légers à modérés : dépression, anxiété, troubles du sommeil, phobies sociales… Une étude publiée dans la revue PLOS One a montré que cette méthode peut parfois se révéler plus efficace que les antidépresseurs. Sur 200 patients dépressifs, ceux ayant suivi un programme de lecture encadré ont vu leur état s’améliorer plus rapidement et durablement que ceux sous traitement médicamenteux. Un résultat qui devrait faire réfléchir dans un pays comme la France, où la consommation d’antidépresseurs reste l’une des plus élevées au monde.

quels livres pour quels maux

Quels livres pour quels maux ?

Il n’existe pas de lecture miracle, mais il y a des livres qui tombent à point nommé. Romans, poésies, biographies, essais… tout dépend du trouble à apaiser. Pour ceux qui se sentent isolés, rien de plus puissant qu’un grand roman d’empathie, à l’image de Les Misérables ou La Peste. Ceux qui peinent à surmonter un deuil trouveront peut-être du réconfort dans Le Livre de ma mère d’Albert Cohen ou Journal d’un deuil de Roland Barthes. Quant à ceux qui cherchent à reprendre confiance, les « self-help books » — ces guides de développement personnel — peuvent offrir des pistes concrètes, à condition de les choisir avec discernement.

Héloïse Goy et Tatiana Lenté ont d’ailleurs recensé dans Bibliothérapie : 500 livres qui réenchantent la vie une sélection de lectures adaptées à chaque humeur et à chaque épreuve. Un véritable catalogue de remèdes littéraires.

Lire contre la solitude, lire pour exister pleinement

Au-delà des pathologies, la lecture est sans doute l’un des derniers espaces de liberté totale. Comme le disait si bien Daniel Pennac : « Une lecture bien menée sauve de tout, y compris de soi-même. » Lire, c’est échapper aux contingences, c’est retrouver ce temps long qui manque tant à nos vies accélérées. Dans ce face-à-face silencieux avec un livre, c’est un autre monde qui s’ouvre, mais c’est aussi soi-même que l’on rencontre. Alors que l’époque nous pousse à consommer l’information à toute vitesse, la bibliothérapie nous rappelle une chose essentielle : il faut parfois ralentir, pour mieux avancer. Et si le plus beau voyage n’était pas au bout du monde, mais au creux d’un paragraphe ?

Nolwenn Neveu

Je suis Nolwenn Neveu, rédactrice web spécialisée dans les thématiques liées aux personnes âgées et aux enjeux de société. J'adore me plonger dans des documentations et comparer les époques et en particuliers les problématiques liées au vieillissement et les différentes manières dont elles sont abordées en fonction des époques et du contexte social. Je m'intéresse particulièrement au grand âge, aux initiatives intergénérationnelles et avoue avoir un faible pour le pain au chocolat, les croissants et autres viennoiseries.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page